jeudi 4 février 2021

La théorie de l'art


Toi qui me lis es-tu sûr de comprendre ma langue ?










Quelles furent les conceptions artistiques du chercheur anglo-indien, si importantes dans la genèse de sa pensée ? Selon l’excellente définition de Grazia Marchianò, Coomaraswamy “a indiqué (…) une manière religieuse de pénétrer le mystère de la Forme, un yoga de la connaissance dans lequel le connaissant et le connu s’unissent dans une interrogation créatrice unique du mystère de l’Etre”. Selon Coomaraswamy, le domaine artistique est aujourd’hui grevé d’un exhibitionnisme narcissique et d’un esthétisme frénétique qui ne sont pas sans évoquer le comportement de la pie voleuse, soucieuse de collectionner indistinctement tous les objets qui brillent. “Tandis que presque tous les autres peuples ont appelé rhétorique leur théorie sur l’art ou sur l’expression, et ont considéré l’art comme une forme de connaissance, nous avons inventé une “esthétique” (…) Le mot grec d’où dérive ce terme signifie “perception à travers les sens”, en particulier à travers les sensations tactiles. L’expérience esthétique est donc une faculté que nous avons en commun avec les animaux et les végétaux, sans aucune référence aux dimensions contemplative et active de l’Etre”. Une telle déviation rend l’art moderne littéralement insignifiant aux yeux de Coomaraswamy (à de rares exceptions près, comme la production des Shakers ou celle de William Morris, par exemple). Réduit à l’expression paroxystique du moi de l’artiste dans sa dimension purement profane (quand elle n’est pas résolument… commerciale !), l’art n’exprime plus la présence de cette réalité supérieure, non humaine, qui jaillissait autrefois dans l’oeuvre.


Si Coomaraswamy oppose l’esthétique à la rhétorique, cette dernière doit être entendue dans un sens très particulier. Elle désigne ici une théorie de l’art “en tant qu’expression efficace de thèses”. Depuis Platon et Aristote, la rhétorique se veut un moyen de rendre la vérité “efficace”. Par la connaissance de cette vérité, le Soi spirituel se met en harmonie avec le monde : il se nourrit de l’ordre des choses et non de leur “affabilité”, auquel est sensible, au contraire, le Soi sentimental de l’âme végétative. Aujourd’hui, l’art occidental ne s’adresse qu’à cette sphère sensible de l’homme et demeure muet au regard de l’Etre. L’éphémère et le profane du sensualisme ont pris le pas sur la “forme intelligible”, qui constitue l’essence de toute réalité éternelle. L’émotion incontrôlée, si caractéristique de l’homme dénué de centre, se libère sans retenue, jetant le masque de la cérébralité. Sur de nombreux points, de profondes analogies peuvent être relevées entre ce discours et celui d’un autre grand historien de l’art, Hans Sedlmayr -même si l’on ne relève aucune influence réciproque entre les deux hommes.


L’art traditionnel est cathartique, “anagogique” (Dante), répète souvent Coomaraswamy. “Le lecteur ou le spectateur de l’imitation d’un mythe doit être enlevé, arraché à sa personnalité habituelle, et doit, comme pour chaque rite sacrificiel, devenir un dieu le temps du rite, et revenir à soi seulement lorsque le rite est achevé, lorsque l’épiphanie tend à sa fin et que le rideau se baisse. Nous devons rappeler qu’à l’origine de toutes les manifestations artistiques étaient des rites, et que le but du rite (…) est de sacrifier l’homme déclinant pour en faire renaître un autre, plus parfait”. Saint Thomas considérait que “l’art est l’imitation de la nature dans sa façon d’opérer”. Mais pour trouver la nature, “il faut briser toutes les formes de celle-ci”, comme l’énonçait Maître Eckhart. L’oeuvre d’art peut alors se définir comme “l’équilibre polaire entre le physique et le métaphysique” (W. Andrae). Selon Coomaraswamy, “un art naturaliste purement visuel (c’est-à-dire provoquant des sensations identiques à celles produites par son modèle visible), uniquement destiné à l’expérience des sens, est non seulement irréligieux et idolâtre (l’idolâtrie désignant l’amour des créatures en elles-mêmes), mais aussi irrationnel et vague. L’art, toujours impersonnel, doit représenter des archétypes. La copie d’un objet est copie d’une copie, c’est-à-dire l’opposé de la création artistique véritable, qui est expression d’une Idée (au sens platonicien du terme) et non idéalisation d’un fait. La beauté entendue comme essentialité, harmonie, équilibre, unité formelle, a déserté notre univers de décorations “autothétiques”, replié sur lui-même. Cet art subjectif est le miroir où se reflète une conception individualiste et mécaniciste du monde. La valeur de l’art véritable réside dans le symbole, et sa force dans l’union intime de la signification et de l’utilité. “Les oeuvres d’art sont des moyens créés par l’artiste pour répondre aux besoins du commun, consommateur ou spectateur. La production des oeuvres d’art n’est jamais une fin en soi”. Ce but transcende la simple expressivité. L’originalité et la créativité ne se justifient pas sur un plan purement esthétique (”l’art pour l’art”), mais se jugent par l’utilisation qui en est faite, c’est-à-dire qu’elles deviennent légitimes lorsque des exigences nouvelles surgissent de leur contemplation.


Dans les civilisations traditionnelles -hindoue, chinoise, paléo-grecque, chrétienne médiévale, égyptienne, maori, amérindienne, pour reprendre les exemples étudiés par Coomaraswamy-, il existait une “maîtrise” de soi-même qui n’était pas une censure intériorisée, mais dérivait de l’intime adhésion de l’artiste à une conception sacrée du monde, pour laquelle la fidélité à certains canons était “normale”, spontanée. La scission entre “signification” et “utilité” a accouché de l’art moderne “ex-centrique”, réduit à une signification autoréférentielle devenue indicible aux hommes alors que l’utilité est désormais confiée à la brutale fonctionnalité de la technique. “Notre civilisation contemporaine peut légitimement être qualifiée d’inhumaine et ne peut qu’être dépréciée si on la compare aux cultures primitives dans lesquelles, comme les anthropologues nous l’assurent, les exigences du corps et de l’âme sont satisfaites en même temps. La production vouée à la seule satisfaction des besoins corporels est la malédiction de la civilisation moderne”. Spiritualité et matérialité ne doivent pas être scindés, et Coomaraswamy condamne sans appel les enseignements prodigués “dans les sections des beaux-arts de nos universités” -qu’il qualifie de “palabres”. Un jugement tranché qui l’isola de nombreux milieux académiques. Mais pouvait-il en être autrement pour cet admirateur de l’art paléolithique et “des dessins exécutés avec du sable par les Indiens d’Amérique, qui sont, du point de vue intellectuel, de qualité supérieure à n’importe quelle peinture produite en Occident durant les deux derniers siècles” ?


Ananda K. Coomaraswamy (1877/1947) et la théorie de l’art 

lundi 23 avril 2018

Etudier ici et maintenant

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Il y a en fait une grande différence entre ce dont les gens pensent avoir besoin et ce dont ils ont réellement besoin. J’en ai souvent parlé. Le problème –fondamental- que je voudrais mettre en évidence pour l’instant, c’est celui-ci : Nous vivons dans un monde de déformation. Cela signifie qu’en agissant comme on devrait réellement agir, on doit adapter, presque, le sens de l’orientation pour utiliser les matériels disponible ici et maintenant. 

Autrement dit, il n’est pas exact de dire qu’il existe une ligne de progrès cohérente, continue entre le mode de pensée de l’homme ordinaire et le mode de pensée qui devrait être le sien. Il doit affiner cette pensée, et il doit le faire sans jeter par-dessus bord le présent mode de pensée, auquel est adapté la majeure partie de sa vie.


En conclusion, il doit développer ce qui lui semble être de nouveaux organes de perceptions.
On peut dire de cette vie qu’elle est une parodie de la vie à laquelle l’homme devrait aspirer. Cette parodie, il faut la jouer, comme une pièce de théâtre. Dans le même temps, l’ « autre vie », le domaine du juste « alignement », de la juste orientation, doit devenir un objectif vers lequel on tend. Il n’y a jamais eu aucun autre objectif réel accessible à l’homme planétaire.



Le Moi Dominant






lundi 18 janvier 2010

Une mer sans limite

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Vos cœurs connaissent en silence les secrets des jours et des nuits. Mais vos oreilles se languissent d'entendre la voix de la connaissance en vos cœurs. Vous voudriez savoir avec des mots ce que vous avez toujours su en pensée. Vous voudriez toucher du doigt le corps nu de vos rêves. Et il est bon qu'il en soit ainsi.

La source secrète de votre âme doit jaillir et couler en chuchotant vers la mer, Et le trésor de vos abysses infinis se révéler à vos yeux. Mais qu'il n'y ait point de balance pour peser votre trésor inconnu, Et ne sondez pas les profondeurs de votre connaissance avec tige ou jauge, Car le soi est une mer sans limites ni mesures.

Ne dites pas: "J'ai trouvé la vérité", mais plutôt: "J'ai trouvé une vérité". Ne dites pas: "J'ai trouvé le chemin de l'âme". Dites plutôt: "J'ai rencontre l'âme marchant sur mon chemin". Car l'âme marche sur tous les chemins.

L'âme ne marche pas sur une ligne de crête, pas plus qu'elle ne croit tel un roseau. L'âme se déploie, comme un lotus aux pétales innombrables.


Khalil Gibran, Un prophète et son temps

jeudi 10 septembre 2009

Reflets

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L’eau est notre source et notre miroir,
Point de dualité entre nous et la mer ;

Le monde, d’un bout à l’autre, n’est qu’un mirage,

Mais regarde bien, ce mirage n’est autre que nous.


Sois attentif et regarde par mon œil,

Et tu verras notre réalité identique à la Réalité.

Dans tous les miroirs il n’y a qu’un seul Reflet,

Contemple ce Reflet et chasse le doute.


Regarde la goutte, le ruisseau, la vague,

Cherche ensuite la mer et reconnais ton identité dans toute eau.

Fais-toi une coupe faite de vin et remplie de vin,

Oui, l’eau et le verre d’eau sont identiques.


Je t’expose le secret de l’Unicité,

Un seul Être et des reflets infinis.


Amir-Moezzi

dimanche 6 septembre 2009

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Sache que le monde tout entier est un miroir, Dans chaque atome se trouvent cent soleils flamboyants . Si tu fends le cœur d’une seule goutte d’eau, Il en émerge cent purs océans. Si tu examines chaque grain de poussière, Mille Adam peuvent y être découverts… Un univers est caché dans une graine de millet ; Tout est rassemblé dans le point du présent…

De chaque point de ce cercle,
Sont tirées des milliers de formes. Chaque point dans sa rotation en cercle Est tantôt un cercle, tantôt une circonférence qui tourne .

Mahmûd Shabestarî

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